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La crise écologique à laquelle nous sommes confrontés invite à renouveler notre façon de faire science. À l’aune du développement durable, l’enjeu est de produire une science démocratique et capable de répondre aux enjeux contemporains. Ce contexte interpelle le rôle de l’école dans ses logiques de construction et de transmission des savoirs scientifiques. L’émergence des questions socialement vives (QSV) dans l’enseignement est une opportunité pour contribuer à une éducation qui permette de penser et d’agir dans un monde complexe et incertain. Cet article est fondé sur l’étude d’un dispositif éducatif expérimental centré sur une démarche d’enquête en lien avec la transition écologique de l’île d’Yeu, dans le département français de la Vendée. Il se propose d’analyser, du point de vue des pédagogues et des apprenants, quelles sont les implications d’un enseignement scientifique qui cultive l’interdisciplinarité, l’implication et la participation. Au-delà des difficultés matérielles et épistémiques identifiées, ainsi que des tensions qu’il y a à coconstruire connaissances et actions, notre expérimentation révèle plusieurs leviers d’action possibles pour l’éducation au développement durable (EDD) parmi lesquels l’ouverture du collectif à une pluralité d’acteurs, l’importance de ménager des espaces de réflexivité et la nécessité de développer une ingénierie sociale.
mots clés : éducation au développement durable (EDD), question socialement vive (QSV), interdisciplinarité, transition écologique, participation, co-construction des savoirs
Un article repris de Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement, une publication sous licence CC by sa nc
pour les annexes et tableaux se reporter à l’article
Introduction
La crise écologique à laquelle nous sommes confrontés nous invite à agir dans un monde complexe et incertain (Barthe et al., 2014). Sous l’effet d’une mondialisation qui s’illustre par l’innovation technologique, les changements de modes de vie et la multiplication des échelles d’organisation, les équilibres sociaux et écologiques sont bouleversés et leurs interactions s’accroissent et se complexifient (Beck, 2001). Dans ce contexte, de nombreux auteurs suggèrent que cette crise est aussi celle de la science et des rapports qu’elle entretient avec la société (Latour, 1999 ; Larrère et Larrère, 1997). Repenser notre relation au monde signifie donc simultanément de repenser notre façon de faire science (Stengers, 2013 ; Jasanoff, 1987). Il s’agit de produire un savoir qui soit utile pour la société, mais aussi démocratique et capable de prendre en charge la complexité et l’incertitude du monde qui nous entoure (Funtowicz et Ravetz, 1995). Dans cette perspective, un tour d’horizon des nombreux travaux portant sur le renouvellement de la science à l’aune du développement durable permet de souligner trois enjeux majeurs. Premièrement, les recherches scientifiques sont incitées à être interdisciplinaires. En particulier, la distinction entre d’un côté les sciences de l’homme et de l’autre les sciences de la nature apparaît comme une manifestation évidente des conceptions dualistes de la modernité occidentale (Descola, 2005). L’émergence des humanités environnementales et leur hybridation avec les sciences de la nature doivent permettre une analyse plus fine des dynamiques socio-politiques à l’œuvre et une lecture complémentaire des enjeux environnementaux (Arpin et al., 2019 ; Jollivet, 2001). Deuxièmement, les sciences doivent être participatives. Les dispositifs scientifiques doivent permettre l’implication du plus grand nombre, au-delà du collectif de chercheurs. La participation est ici pensée tout à la fois comme une éthique scientifique au sens d’un enjeu démocratique, une opportunité pratique du fait d’un plus grand nombre d’acteurs impliqués, un vecteur d’éducation et de sensibilisation aux enjeux de la nature, une façon de faire « cause commune » au travers d’une approche plurielle de la connaissance (Charvolin et al., 2007). Enfin, les sciences doivent être impliquées (Coutellec, 2015 ; Funtowicz et Ravetz, 1995). Il ne s’agit pas de renier les approches « traditionnelles » de production de connaissances, mais plutôt de les compléter par un modèle singulier au sein duquel connaissances et actions sont co-construites (Vimal, 2010). L’enjeu est d’appréhender les pratiques scientifiques au sein de collectifs hybrides où les sujets techniques et politiques sont débattus entre des acteurs aux intérêts et arguments variés.
De la même manière que les rapports entre sciences et sociétés évoluent à l’heure du développement durable, les rapports entre savoirs, enseignements et dynamique de circulation-élaboration de connaissances sont à interroger dans l’éducation au développement durable (EDD) (Simonneaux, 2011). Si la crise écologique sous-entend que la fabrication des savoirs ne peut être pensée indépendamment de leur diffusion et de leur utilisation, inversement le défi scientifique devient dès lors aussi un défi pour l’éducation et interpelle le rôle de l’école dans la transition écologique (Curnier, 2017). L’EDD suppose non seulement de reconsidérer les logiques de transmission des savoirs, mais aussi leur fabrication. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) (2017, p. 52), promeut notamment dans son agenda Éducation 2030, éducation en vue des objectifs du DD « une pédagogie transformatrice orientée vers l’action en associant les apprenants à des processus participatifs, systémiques, créatifs et novateurs de pensée et d’action dans le contexte des communautés locales et de la vie quotidienne des apprenants » (Lange, 2018, p.26). Dans une perspective d’EDD, il convient donc de réinterroger comment les savoirs scolaires sont mobilisés, à la lueur des enjeux majeurs que nous avons évoqués : interdisciplinarité, participation et implication.
Les programmes et curricula français et internationaux mettent de plus en plus l’accent sur la nécessité d’enseigner à « penser un monde complexe » et un « pouvoir d’agir ». Une des missions du curriculum, prônée par certains chercheurs, pourrait-être de contribuer à l’éducation des élèves pour qu’ils soient capables de s’intégrer et d’agir dans la société de demain, c’est l’idée d’une « contribution forte de l’éducation à une finalité de transformation sociétale » (Lange et Kebaïli, 2019, p.8 ). L’émergence de l’EDD, et plus largement des « éducations à », pourrait être selon ces auteurs une opportunité pour contribuer à une transition vers un nouveau paysage éducatif et scientifique. "
La crise écologique à laquelle nous sommes confrontés invite à renouveler notre façon de faire science. À l’aune du développement durable, l’enjeu est de produire une science démocratique et capable de répondre aux enjeux contemporains. Ce contexte interpelle le rôle de l’école dans ses logiques de construction et de transmission des savoirs scientifiques. L’émergence des questions socialement vives (QSV) dans l’enseignement est une opportunité pour contribuer à une éducation qui permette de penser et d’agir dans un monde complexe et incertain. Cet article est fondé sur l’étude d’un dispositif éducatif expérimental centré sur une démarche d’enquête en lien avec la transition écologique de l’île d’Yeu, dans le département français de la Vendée. Il se propose d’analyser, du point de vue des pédagogues et des apprenants, quelles sont les implications d’un enseignement scientifique qui cultive l’interdisciplinarité, l’implication et la participation. Au-delà des difficultés matérielles et épistémiques identifiées, ainsi que des tensions qu’il y a à coconstruire connaissances et actions, notre expérimentation révèle plusieurs leviers d’action possibles pour l’éducation au développement durable (EDD) parmi lesquels l’ouverture du collectif à une pluralité d’acteurs, l’importance de ménager des espaces de réflexivité et la nécessité de développer une ingénierie sociale.
mots clés : éducation au développement durable (EDD), question socialement vive (QSV), interdisciplinarité, transition écologique, participation, co-construction des savoirs
Un article repris de Vertigo, la revue électronique en sciences de l’environnement, une publication sous licence CC by sa nc
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Introduction
La crise écologique à laquelle nous sommes confrontés nous invite à agir dans un monde complexe et incertain (Barthe et al., 2014). Sous l’effet d’une mondialisation qui s’illustre par l’innovation technologique, les changements de modes de vie et la multiplication des échelles d’organisation, les équilibres sociaux et écologiques sont bouleversés et leurs interactions s’accroissent et se complexifient (Beck, 2001). Dans ce contexte, de nombreux auteurs suggèrent que cette crise est aussi celle de la science et des rapports qu’elle entretient avec la société (Latour, 1999 ; Larrère et Larrère, 1997). Repenser notre relation au monde signifie donc simultanément de repenser notre façon de faire science (Stengers, 2013 ; Jasanoff, 1987). Il s’agit de produire un savoir qui soit utile pour la société, mais aussi démocratique et capable de prendre en charge la complexité et l’incertitude du monde qui nous entoure (Funtowicz et Ravetz, 1995). Dans cette perspective, un tour d’horizon des nombreux travaux portant sur le renouvellement de la science à l’aune du développement durable permet de souligner trois enjeux majeurs. Premièrement, les recherches scientifiques sont incitées à être interdisciplinaires. En particulier, la distinction entre d’un côté les sciences de l’homme et de l’autre les sciences de la nature apparaît comme une manifestation évidente des conceptions dualistes de la modernité occidentale (Descola, 2005). L’émergence des humanités environnementales et leur hybridation avec les sciences de la nature doivent permettre une analyse plus fine des dynamiques socio-politiques à l’œuvre et une lecture complémentaire des enjeux environnementaux (Arpin et al., 2019 ; Jollivet, 2001). Deuxièmement, les sciences doivent être participatives. Les dispositifs scientifiques doivent permettre l’implication du plus grand nombre, au-delà du collectif de chercheurs. La participation est ici pensée tout à la fois comme une éthique scientifique au sens d’un enjeu démocratique, une opportunité pratique du fait d’un plus grand nombre d’acteurs impliqués, un vecteur d’éducation et de sensibilisation aux enjeux de la nature, une façon de faire « cause commune » au travers d’une approche plurielle de la connaissance (Charvolin et al., 2007). Enfin, les sciences doivent être impliquées (Coutellec, 2015 ; Funtowicz et Ravetz, 1995). Il ne s’agit pas de renier les approches « traditionnelles » de production de connaissances, mais plutôt de les compléter par un modèle singulier au sein duquel connaissances et actions sont co-construites (Vimal, 2010). L’enjeu est d’appréhender les pratiques scientifiques au sein de collectifs hybrides où les sujets techniques et politiques sont débattus entre des acteurs aux intérêts et arguments variés.
De la même manière que les rapports entre sciences et sociétés évoluent à l’heure du développement durable, les rapports entre savoirs, enseignements et dynamique de circulation-élaboration de connaissances sont à interroger dans l’éducation au développement durable (EDD) (Simonneaux, 2011). Si la crise écologique sous-entend que la fabrication des savoirs ne peut être pensée indépendamment de leur diffusion et de leur utilisation, inversement le défi scientifique devient dès lors aussi un défi pour l’éducation et interpelle le rôle de l’école dans la transition écologique (Curnier, 2017). L’EDD suppose non seulement de reconsidérer les logiques de transmission des savoirs, mais aussi leur fabrication. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) (2017, p. 52), promeut notamment dans son agenda Éducation 2030, éducation en vue des objectifs du DD « une pédagogie transformatrice orientée vers l’action en associant les apprenants à des processus participatifs, systémiques, créatifs et novateurs de pensée et d’action dans le contexte des communautés locales et de la vie quotidienne des apprenants » (Lange, 2018, p.26). Dans une perspective d’EDD, il convient donc de réinterroger comment les savoirs scolaires sont mobilisés, à la lueur des enjeux majeurs que nous avons évoqués : interdisciplinarité, participation et implication.
Les programmes et curricula français et internationaux mettent de plus en plus l’accent sur la nécessité d’enseigner à « penser un monde complexe » et un « pouvoir d’agir ». Une des missions du curriculum, prônée par certains chercheurs, pourrait-être de contribuer à l’éducation des élèves pour qu’ils soient capables de s’intégrer et d’agir dans la société de demain, c’est l’idée d’une « contribution forte de l’éducation à une finalité de transformation sociétale » (Lange et Kebaïli, 2019, p.8 ). L’émergence de l’EDD, et plus largement des « éducations à », pourrait être selon ces auteurs une opportunité pour contribuer à une transition vers un nouveau paysage éducatif et scientifique. "